Bob
MARLEY (Robert
Nesta Marley)
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Né
à Nine Mile, Saint Ann, Jamaïque, le 6 février 1945, décédé à Miami,
Floride, États-Unis, le 11 mai 1981.
Chanteur et guitariste de cantiques, de soul, de ska, de rock steady et de
reggae, réalisateur artistique, actif de 1959 à sa mort.
Bob Marley est la première (et la dernière ?) véritable superstar venue d'un
pays pauvre.
Sa musique, le reggae jamaïcain, un proche dérivé du rhythm & blues et de
la soul américaine, est la voix de tous les peuples opprimés de la terre, au
nom desquels il s'exprime.
Brillant et prolifique chanteur auteur-compositeur, sa carrière internationale
ne dure que huit années intenses.
Outre ses merveilleuses créations, sa dimension sociale et spirituelle lui
donnent vite l'aura d'un exemple et, pour beaucoup, d'un prophète.
Il succombe à un cancer (mélanome) en pleine gloire à trente-six ans, mais
son mythe lui survit et s'amplifie depuis hors de toutes proportions.
Nesta
Robert Marley est né et élevé dans un hameau des collines à une heure de
route de la côte nord de la Jamaïque. Sa mère Cedella Malcolm, dont le père
est un paysan chrétien et rebouteux, cède un temps aux avances du capitaine
Norval Marley, qui a plus de cinquante ans et supervise à cheval des travaux
dans la campagne.
Puis pour suivre les préceptes de l'église, Cedella exige le mariage et se
refuse à lui. Après des semaines, elle finit par céder et à la naissance de
l'enfant, elle n'a que dix-sept ans.
Le capitaine accepte le mariage contre l'avis de sa famille de planteurs jamaïcains
d'origine britannique, qui le déshérite : un Blanc n'épouse pas une Noire.
Norval prénomme son fils Nestor, avec en deuxième prénom Robert, du nom de
son frère. Il disparaît bientôt et sombre dans la boisson pour ne réapparaître
cinq ans après. Rongé par la culpabilité, il promet alors une éducation décente
pour son fils, qui le rejoint à la capitale en bus.
Mais le petit Nesta (sa mère écrit ainsi le prénom), qui lit l'avenir dans la
paume des mains au village, ne connaîtra jamais son père. Il ne sera retrouvé
que par miracle un an et demi après chez une vieille dame qui l'élève dans un
quartier très pauvre. Cedella revoit alors une seule fois le père, un homme
faible mais gentil. Coupable, il est en pleurs, et donne tout ce qu'il a pour
son fils : deux pièces en cuivre d'un penny. Il décèdera quelques années
plus tard, alcoolique, brisé et malade.
En
rentrant à la maison, traumatisé, Nesta refuse de dire l'avenir et déclare
que désormais, il sera chanteur. Il va à l'école et participe aux travaux
d'agriculture. Son grand-père Omeriah, qui l'a élevé, jouait du violon et de
l'accordéon. Son oncle, musicien semi professionnel, jouait de la guitare et du
banjo dans les groupes de bal populaire (branle écossais, polka et valse) le
quadrille, équivalent du bluegrass américain en Jamaïque.
Le traditionnel mento Touch Me Tomato est le premier morceau que chante Nesta à
l'âge de cinq ans en frappant deux bouts de bois pour tenir le rythme. En 1957
après avoir tenu une petite échoppe de vendeuse de fruits en bord de route sa
mère emménage à Kingston et devient femme de ménage.
Bientôt elle s'installe dans le ghetto urbain très dur, pauvre et violent de
Trench Town où elle vit avec le père de Neville "Bunny" Livingston.
Bunny devient le partenaire de chant de Nesta. Ils s'essayent sur des cantiques et des chants d'église.
C'est Bunny, toujours entreprenant, qui fabrique une première guitare avec des
fils électriques sans gaine. Une boîte de sardines sert de caisse de résonnance,
et un morceau de bambou de manche. Leurs voix d'adolescents élaborent alors les
premières mélodies des futurs Wailers.
En 1959, Bob gagne une livre sterling à un concours de chant public au Queens
Theatre. Beverley's En 1962, alors qu'il est en apprentissage pour devenir
soudeur, il se blesse dans un accident de travail et échappe de peu à la perte
d'un œil. Derrick Morgan, soudeur dans son atelier, vient de subir la même mésaventure.
Il a profité de son bref congé de convalescence pour tenter sa chance auprès
d'un producteur et a enregistré son premier disque. Il conseille à Nesta d'en
faire autant.
Le ska qui vient de naître est le symbole de l'indépendance jamaïcaine
obtenue en 1962 et le jeune Marley se consacre alors à la musique. Comme
Derrick Morgan il va chez les disques Beverley's et enregistre trois titres pour
Leslie Kong.
Il y rencontre l'adolescent Jimmy Cliff, avec qui il joue quelque peu.
Deux 45 tours de ska sortent chez Beverley's, l'un sous le nom de Robert Marley,
Judge Not puis One Cup of Coffee, une reprise d'un succès country de Claude
Gray qui sort sous le nom de Bobby Martell imposé par Kong.
Terror, qui parle du terrorisme meurtrier régnant dans les ghettos, ne sortira
pas.
Mais déjà avec ces trois titres, les trois thèmes qui reviendront dans son œuvre
sont là : spiritualité, amour et lutte sociale. Il a dix-sept ans et les deux
45 tours sortent aussi en Angleterre sur une jeune marque spécialisée en ska,
Island, qui appartient au Jamaïcain blanc Chris Blackwell. Studio One Nesta et
Bunny sont alors déjà rejoints par Winston Hubert "Peter Tosh" Mc
Intosh, qui possède une vraie guitare et leur apprend à jouer.
Avec Nesta Robert
"Bob" Marley, ils forment un trio d'harmonies vocales modelé sur un
groupe soul, les Impressions de Curtis Mayfield, qu'ils copient.
Bunny chante les aiguës, Peter les graves, et Bob est au milieu.
Joe Higgs, qui a déjà publié plusieurs disques vit lui aussi à Trench Town,
et leur enseigne le chant et les harmonies. Ils sont bientôt cinq avec
l'addition de Beverley Kelso et Cherry Green (elle quitteront les Wailers en
1965), et Junior Braithwaite qui devient le chanteur solo, jusqu'à son départ
en 1964. Junior
n'est chanteur principal que sur Habits, Straight and Narrow Way, Don't Ever
Leave Me et It Hurts To Be Alone.
Ils chantent
essentiellement des cantiques, des reprises de doo-wop et de soul américaine.
Après une audition chez Studio One, "Coxsone" Dodd leur demande de
composer des chansons. Ils travaillent beaucoup et leur énergique premier
simple ska, Simmer Down, chanté par Bob en 1963, est aussitôt un premier gros
succès en Jamaïque.
Mais
malgré de nombreux succès et un premier album, la compilation The Wailin'
Wailers (Studio One), très déçus ils ne touchent jamais plus de trois livres
sterling par semaine. L'album contient déjà une première version de Put It
On, Simmer Down, et les délicieuses ballades très soul I'm Still Waiting et I
Need You. Accompagnés par les fantastiques Skatalites, ils enregistrent entre
1963 et 1966 une centaine de morceaux splendides dont les créations de Marley
Cry To Me, One Love, Love And Affection, mais aussi le And I Love Her des
Beatles, et des adaptations du Like a Rolling Stone de Bob Dylan sous le nom de
Rolling Stone, du Do You Love Me des Contours sous le nom de Playboy, du I'll
Keep On Moving de Curtis Mayfield sous le nom de Rude Boy (repris sous le nom de
Walk The Proud Land par la suite), plusieurs autres reprises de soul et beaucoup
de ska, une nouvelle musique devenue le symbole de la récente indépendance de
l'île.
Ces titres sont disponibles sur le double CD posthume One Love (1991), et Climb
The Ladder (2000) (Heartbeat/Média 7).
Le 10 février 1966 Nesta se marie avec Alpharita Consticia "Rita"
Anderson, du trio des Soulettes chez Studio One.
Rita Marley, qui a adopté Sharon Pendergast Marley, née le 23 novenbre 1965 et
fille de sa cousine, est chanteuse de ska comme lui. Rita est enceinte, ils ont
besoin d'argent et Nesta quitte l'île rejoindre sa mère, qui s'est remariée
à Wilmington, Delaware, aux Etats-Unis, avec un Mr Booker. Le fonctionnaire qui
lui délivre son passeport n'aime pas son premier prénom Nesta et inscrit le
deuxième, Robert, plus sérieux, en tête.
Le diminutif de Robert, Bob, devient le surnom de Marley.
Pendant son absence, Bob est
remplacé temporairement par Constantine "Dream" Walker, un des trois
membres des Soulettes. Wail'n Soul'm Du 21 au 23 avril, l'empereur d'Ethiopie Haïlé
Sélassié, le Dieu vivant, Jah Rastafari, des rastafariens jamaïcains fait une
visite officielle qui marque fortement la Jamaïque et précipite le développement
de ce mouvement dans l'île.
Bob Marley travaille alors dans l'équipe de nettoyage de l'hôtel Dupont à
Wilmington aux Etats-Unis.
Il rentre à l'automne 1966, se déclare rasta et avec ses économies monte sa
marque de disques, Wail'n'Soul'm (série The Complete Bob Marley &
theWailers 1967-1972 et coffret Songs Of Freedom, Island).
Le nom Wail'n'Soul'm est un abrégé de Wailers and Soulettes music. Avec
d'excellents musiciens comme Winston Wright au piano et à l'orgue, Hux Brown,
Lynn Taitt, et Ranford "Rannie Bop" Williams à la guitare, Jackie
"Sledge" Jackson à la basse, Hugh Malcolm à la batterie, Alvin
"Seeco" Patterson, Constantine "Dream" Walker aux
percussions (et les cuivres des Skatalites), tous les ingrédients du succès
sont déjà là (album Selassie Is The Chapel, JAD/Pense à Moi/EMI).
Les disques sortiront désormais le plus souvent sous le nom de Bob Marley &
the Wailers, et le cas échéant Peter Tosh & the Wailers. Ils ouvrent aussi
une minuscule boutique et y vendent leurs 45 tours de rock steady, le nouveau
style, plus lent que le ska. Bob les distribue lui-même en vélo, mais aucun
n'a de succès.
Avec Bend Down Low et Stir It Up (réenregistrés plus tard lors de sa carrière
internationale, comme beaucoup de ses meilleures compositions), il chante des
paroles salaces à double sens. Freedom Time, également à double sens, fête
à la fois leur départ de chez Studio One et la fin de l'esclavage. D'autres réussites
s'appellent I'm Hurting Inside, Mellow Mood (très repris par d'autres). Leur
première fille Cedella naît le 23 août 1967.
Quand Bob Marley annonce sa prise de conscience rasta à sa mère Cedella, très chrétienne, elle est choquée, comme le serait tout Jamaïcain, qui considèrent à priori les rastas comme blasphématoires. Mais elle le suivra plus tard dans cette voie. JAD Peter Tosh chante de plus en plus de morceaux avec Bunny et Bob aux harmonies. En janvier 1968, Bob Rita et Peter Tosh rencontrent le chanteur américain vedette de télévision Johnny Nash et son imprésario Danny Sims. Les Wailers commencent à enregistrer pour lui des maquettes de chansons. Sims leur fera bientôt signer un contrat exclusif d'agent, d'éditions musicales et de production de disques. De juillet 67 à septembre 1968 Bunny Livingston est en prison pour détention de chanvre, et Rita Marley le remplace au sein du trio.
Alors que Johnny Nash
enregistre en Jamaïque une série de succès rock steady, les Wailers profitent
de sa présence et de ses musiciens et enregistrent pour Sims -sous le nom de
Bob Peter et Rita- quatorze morceaux très soul/rock steady comme Love (Peter
Tosh & Rita), Rock To The Rock et How Many Times avec des musiciens américains
des studios Atlantic (qui travaillent notamment avec Aretha Franklin) et Hugh
Masekela à la trompette.
On y trouve leurs tout premiers véritables reggaes, avec les versions
originales de Soul Rebel, de Hammer mais à l'époque seules de nouvelles
versions de Bend Down Low et Mellow Mood sortent sur un 45 tours
JAD (distribué en France par CBS). Ils seront publiés en partie plus tard chez
CBS (CD Chances Are), soit défigurés par des instruments ajoutés soit mal
remixés, soit intacts sur différents albums (Jamaican Storm, etc) bon marché
passés inaperçus dans les années 80.
Ces séances splendides ne sortiront étonnamment qu'en 1997 sur le CD Rock
To the Rock (série The Complete Bob Marley & theWailers 1967 to 1972).
Simultanément, leur propre marque Wail'n'Soul'm publie le slow Chances Are,
Rocking Steady, et Hypocrites qui deviendra, des années plus
tard, très populaire dans l'île à la suite d'une réédition, ainsi qu'une
adaptation de Crying in the Chapel (succès doo-wop très lent de Sonny
Til & the Orioles en 1953, repris en 1965 par Elvis Presley) qui devient le
superbe Selassie Is the Chapel (voir album du même nom) sous la plume de
Mortimer Planno, un guide spirituel rastafarien devenu une sorte d'imprésario,
et qui signe ici les paroles du premier manifeste rasta de Bob Marley.
Apparaît
aussi le très beau Don't Rock My Boat, qui deviendra un succès mondial
sous le nom de Satisfy my Soul en 1978 (à ne pas confondre avec Satisfy
my Soul Jah Jah -voir album du même nom- et Satisfy My Soul Babe (1971),
très différents). Plusieurs petits producteurs comme Bunny Lee (Mr.
Chatter Box) ou le Hollandais Ted Pouder (Adam and Eve) tentent leur
chance, Wailers compris, mais malgré leur qualité aucune des reprises
cherchant manifestement le succès ne rapporte un sou, ni The Letter des Box
Tops, ni la reprise du générique télé américain des Archies Sugar
Sugar ni Black Progress, une adaptation du manifeste de négritude
(Say It Loud) I'm Black and I'm Proud de James Brown (série The Complete
Bob Marley & the Wailers 1967 to 1972).........
Tuff Gong
Peu après la
naissance de son fils David "Ziggy" Marley en octobre 68 (avec Tumblin'
Down, Ziggy réalisera avec ses frères et sœurs en 1986 le rêve inachevé
de son père d'obtenir un gros succès aux Etats-Unis), Bob repart chez sa mère
en Amérique en 1969. Il travaille cette fois de nuit à l'usine Chrysler de
Wilmington, où il porte des pièces. À son retour, les Wailers fondent les
disques Tuff Gong mais acceptent d'enregistrer en 1970 pour Leslie Kong, chez
Beverley's, l'album Best of the Wailers qui ne sera publié qu'à l'été
71. Jackie Jackson est toujours là, Hugh Malcolm a été remplacé par Michael
"Mikey Boo" Richards à la batterie, et Gladstone Anderson est au
piano en plus de l'orgue de Winston Wright.
Le disque contient Soul Shake Down Party, Stop The Train, Back Out et
Cheer Up. Faute de
plaignants (Kong décèdera le 9 août 1971), des centaines de pirates différents
(au son médiocre) de ces enregistrements Beverley's seront publiés sur la planète
entière jusqu'à la réédition augmentée d'inédits (comme le duo avec son épouse
Gotta Hold On To This Feeling, un succès de Junior Walker & the All
Stars chez Motown) dans la série des The Complete Bob Marley &
theWailers 1967 to 1972 en 1997. Ces titres méconnus sont publiés à
l'origine chez les disques Tuff Gong, fondés par Peter, Bob & Bunny en
1970. Ce "Gong Dur" est le surnom de Bob.
Il fait référence au surnom du fondateur du mouvement Rastafari, Leonard
Howell, surnommé Ganguru Maragh (mais appelé "Gong", plus court)
dans sa communauté philosophique, où vivaient beaucoup d'indiens dans les années
mille neuf cent trente, quarante et cinquante. De plus en plus désespéré, après
des auditions infructueuses Bob contacte le génial producteur réalisateur Lee
"Scratch" Perry, un ancien de chez Studio One qui a du succès à
l'étranger avec sa marque Upsetter distribuée par les disques Trojan
appartenant à Chris Blackwell.
Les trois Wailers travaillent alors avec Perry tout au long de 1970 et 1971 et
gravent des chefs-d'œuvre impérissables parfois co-signés Perry (et
finalement restaurés de façon sérieuse pour les CDs Soul Rebels, Soul
Revolution Part II, More Axe et Keep on Skanking publiés dans la série
The Complete Bob Marley & theWailers 1967 to 1972. Les Wailers sont
accompagnés par la rythmique extraordinaire des Upsetters, les jeunes frères Aston
"Family Man" Barrett et Carlton "Carly" Barrett
qui vont suivre Bob Marley à partir de là. On entend aussi d'autres membres
des Upsetters comme Alva "Reggie" Lewis, Ranford "Rannie
Bop" Williams aux guitares, Glen Adams (orgue) et Gladstone
Anderson (piano). Headley "Deadly Headley" Bennett, Tommy
McCook sont aux cuivres et Uziah "Sticky" Thompson aux
percussions.
Ensemble ils créent les arrangements de compositions somptueuses comme Kaya, Keep On Moving, Sun Is Shining, Soul Rebel, Duppy Conqueror, All In One Part I & II, Dreamland, Man To Man, Small Axe, et bien d'autres. Deux 33 tours, Soul Rebels et African Herbsman sortent en Angleterre en 1973-74, mais Peter, Bob et Bunny ne touchent toujours presque rien.
Peu après, Patricia Williams met au monde un nouveau fils de Bob, Robert Junior, dont la mère n'est pas Rita. Avec la même équipe, les Wailers sortent alors eux-mêmes Trench Town Rock (où Bunny Livingston est à la basse) en Jamaïque chez Tuff Gong, leur premier gros succès depuis 1966. Il est suivi par d'autres morceaux auto produits remarqués, où les guitares sont souvent jouées par Bob et Peter eux-mêmes, comme Guava Jelly, Lively Up Yourself, Screw Face, Satisfy my Soul Babe, Satisfy my Soul Jah Jah, Lick Samba, Craven Choke Puppy (série The Complete Bob Wailers 1967 to 1972 et coffret Songs Of Freedom, Island).
Bob part en Suède en
mai1971. Il est salarié par Danny Sims pour composer des chansons avec Johnny
Nash et son clavier texan, John "Rabbit" Bundrick, mais il ne sera
jamais payé.
Il y écrit de grands classiques, les enregistre à la guitare sèche et
participe avec eux à la bande d'un film où joue Nash, North Scene (Love
Is Not A Game), des instrumentaux aux arrangements douteux de Fred Jordan.
Le film ne reste à l'affiche que quelques jours et en janvier 1972 Bob part
pour Londres rejoindre Johnny Nash qui enregistre pour Columbia son album à
succès I Can See Clearly Now où figurent quatre des compositions de
Bob.
Bob signe lui aussi un contrat avec Columbia et enregistre avec des musiciens noirs basés à Londres (sauf Rabbit, le seul blanc) dont Anthony "Rebop" Kwaku Baah, futur Traffic, les cuivres des Sons Of The Jungle, Peter Dupri à la basse, Winston Delandro à la guitare, Martin Ford au synthétiseur, et le batteur Richard Bailey. Marley enregistre avec eux le 45 tours Reggae on Broadway et cinq autres titres (publiés en partie sur l'album CBS posthume Chances Are en 1981) qui ne sortiront en mix d'origine qu'en 1998 sur Satisfy My Soul Jah Jah dans la série The Complete Bob Marley & theWailers 1967-1972.
Sims fera par la suite
retravailler et ajouter des musiques peu inspirées, au goût du jour, autour
des voix de Bob, et dans les années 80 sortira ainsi trois albums successifs très
critiqués. Puis dans la même veine il publiera Soul Almighty en1996 et Black
Progress en 1998. Le 20 avril 1972, Rita met au monde Stephen, son deuxième
fils et dernier enfant de Bob, qui deviendra lui aussi chanteur, comme les trois
précédents sous le nom de Ziggy Marley & the Melody Makers.
Le 19 mai 1972, la maîtresse de Bob, Janet, met au monde Rohan, futur
champion de football américain. Rohan est adopté par Cedella, la mère de Bob.
Janet lui donnera aussi bientôt une fille, Karen. Bob quitte l'Europe au printemps 1972 et part chercher son groupe à Kingston pour une tournée anglaise en soutien promotionnel au 45 tours Reggae On Broadway qui va sortir. Avec les frères Barrett, Peter et Bunny, il commence à répéter à Londres mais le disque ne se vend pas et après quelques concerts dont un en première partie de Johnny Nash ils rentrent aux Caraïbes au bout d'un séjour de quatre mois.
Island
En octobre 1972, Bob a rencontré Chris Blackwell, qui lui a confié de quoi
enregistrer un album pour Island, Catch A Fire.
Blackwell n'a pas pu obtenir le renouvellement de son contrat avec Jimmy Cliff.
Cliff tient le premier rôle dans le film jamaïcain sur le reggae The Harder
They Come, qui va mettre cette musique à la mode. Furieux, le Jamaïcain
Blackwell, bien décidé à ne pas louper la mode naissante de la musique de son
propre pays, se rabat sur Bob Marley & the Wailers.
Catch A Fire est enregistré en Jamaïque chez Harry J avec Carly et
Family Man. Lors de rares concerts locaux, Peter Tosh est très présent à la
guitare, notamment avec sa pédale wah-wah. Ils reviennent en Grande-Bretagne
pour retravailler avec Blackwell les bandes de Catch A Fire, copiées sur
seize pistes à Londres.
Le 4 novembre ils accélèrent
et rallongent certains morceaux par un montage, ajoutent le clavinet, le synthétiseur
Moog et le piano électrique plus rock de l'anglais John "Rabbit"
Bundrick, les tablas de Chris Karen et, selon la mode en 1973, les longs solos
de guitare de Wayne Perkins, un professionnel américain des studios Muscle
Shoals.
Le disque est alors mixé sous la direction de Blackwell.
Rebaptisé The Wailers par Blackwell, ils signent un contrat de disques
international avec lui (sa société Island a décuplé depuis la sortie de
Judge Not en 62). Island partagera les recettes avec Danny Sims, qui lui a
revendu son contrat international de producteur exclusif. Ce nouvel
investissement leur donne la clé de la réussite et imposera bientôt le reggae
dans le monde. Le 33 tours est présenté comme l'album conceptuel d'un groupe
de rock noir, The Wailers, révélé au public par les prestigieux disques
Island. Il obtient un succès d'estime dans la presse rock blanche.
On y trouve des joyaux comme Slave Driver, Stir It Up, Kinky Reggae. Les
versions originelles antérieures de morceaux comme Concrete Jungle (déjà
réalisé avec Lee Perry) sont peut-être plus magnifiques encore, mais les
techniques de réalisation à l'européenne de Blackwell imposent le groupe, qui
est ravi de percer ainsi. Enregistré avec le jeune organiste prodige Earl
Wilber Force "Wire" Lindo qui restera aussi pour les concerts,
l'excellent Burnin' est lui aussi tourné vers un public large.
Les orientations déjà suggérées par Blackwell sont intégrées directement
par le groupe. Burnin' est bien accueilli, mais passe plus inaperçu.
Sorti également sous le nom des Wailers, il contient Get Up Stand Up, Small
Axe et I Shot the Sheriff. Une deuxième tournée anglaise a donc lieu en
avril 1973.
Bunny Livingston quitte le
groupe en pleine tournée, déçu par les pressions psychologiques, financières,
le climat et le mode de vie occidentaux. Il se rebaptise Bunny Wailer pour sa
carrière solo qui connaîtra quelques succès comme l'album Blackheart Man
enregistré avec le groupe de Bob Marley (et Bob aux chœurs).
Bunny est remplacé par Joe Higgs (leur ancien prof de chant) pour une tournée
américaine en premier partie de Sly Stone. Les Wailers sont évincés de la
tournée après trois concerts et enregistrent pour une émission de radio
californienne ce qui deviendra le CD Talkin' Blues. Ensuite, après
quelques concerts anglais avec Bob mais sans Higgs, Peter Tosh quitte à son
tour les Wailers, déçu par l'attitude d'Island qui met Marley, meilleur
compositeur, et à la personnalité moins arrogante, trop en avant à son goût.
Quelque peu moins talentueux que Bob, Peter Tosh trouvera néanmoins le succès
avec une carrière solo truffée de morceaux excellents, comme en témoigne
notamment les albums Legalize It, Equal Rights et Bush Doctor.
Bob, chante, compose, joue de la guitare et réalise lui-même ses disques pour
le producteur Blackwell, qui agit en tant que directeur artistique mais
n'intervient pas directement dans les studios. Eric Clapton, très coté
en 74, obtient son seul numéro un en Amérique avec le I Shot The Sheriff de
Bob Marley, qui profite beaucoup de cette publicité mais réalise que vieux son
contrat d'éditions signé en 1968 avec Danny Sims lui retirent l'essentiel de
ses droits d'auteur (SACEM en France).
Pour que Danny Sims, éditeur de ses compositions, ne touche pas la part des
droits qui lui reviennent, Bob ne signe plus les morceaux de son propre nom.
Certains sont attribués à son vieil ami du ghetto Vincent "Tata"
Ford qui a un peu contribué aux paroles (il est crédité comme auteur
compositeur de No Woman no Cry alors qu'il est à peine musicien), d'autres à
un énigmatique R. Marley (Rita ou Robert ?), ou à ses amis Carlton Barrett son
batteur et son ami footballeur Alan "Skill" Cole. Le stratagème réussira
en fin de compte.
C'est en lisant Bob Marley, la solide biographie de Stephen Davis, que l'
ayant-droit Sims comprendra la ruse, mais un peu tard. Il fera constater la
fraude lors d'un procès posthume, mais malheureusement pour lui quelques mois
seulement après le délai légal de pourvoi, d'où une perte sèche de
plusieurs millions de dollars.
Bob Marley & the Wailers
En 1974 le groupe se recentre autour de Bob avec Aston "Family Man"
Barrett, (basse) Carlton "Carly" Barrett (batterie), l'Américain Al
Anderson (guitare), Alvin "Seeco" Patterson (percussions) et le trio I
Three aux chœurs (Rita Marley, Judy Mowatt et Marcia Griffiths), qui comptent
tous parmi les meilleurs musiciens de l'île. Cette équipe restera le groupe de
scène de Marley jusqu'à la fin.
Bernard "Touter" Harvey (orgue) est engagé pour compléter l'album suivant, Natty Dread. La carrière solo de Bob Marley (& the Wailers à nouveau) commence alors en 1974 avec son célèbre No Woman No Cry (sur Natty Dread) où il demande à une femme qu'il quitte de ne pas pleurer, tout en décrivant leurs bons souvenirs à Trench Town.
Il rappelle au passage les
"hypocrites" qu'ils y ont rencontré et les amis perdus sur leur
route, sans oublier leur "passé" d'esclave "qu'on ne peut pas
oublier" en se dirigeant vers "ce futur magnifique".
Avec d'autres titres comme Lively Up Yourself, Natty Dread, Revolution, Rebel
Music, Them Belly Full, l'album Natty Dread reste sans doute son plus
grand chef-d'œuvre. Différents disques restés inédits jusque là commencent
à sortir sur différents labels le plus souvent illégaux.
Jusqu'à la sortie de la série exhaustive des Complete Bob Marley & the
Wailers 1967 to 1972, des centaines de disques pirates au son et aux pochettes généralement
de qualité médiocre saturent le marché, mélangent les morceaux de différentes
époques, semant la confusion et dévalorisant l'œuvre de la formation
originelle du trio Wailers.
Une tournée anglaise de Bob Marley & the Wailers a lieu en 1975. Les
journalistes londoniens sont très impressionnés par le concert qui donnera
l'album Live at the Lyceum.
C'est une révélation qui lance la médiatisation intensive de Marley en
Angleterre. Elle sera bientôt relayée dans le reste de l'Europe et du monde.
C'est aussi la version en public de No Woman No Cry qui commence à
passer à la radio.
En quelques mois, contre toute attente Marley est une superstar. Son succès est
universel et foudroyant. Il lui reste à peine six ans à vivre. Le contenu de
ses chansons est fidèle à une tradition jamaïcaine que l'on retrouve dès les
débuts du ska, et dont les trois principaux thèmes sont partagés à peu près
également dans son œuvre. Premièrement, on y trouve d'abord des chansons
d'amour délicieuses comme Baby Baby We've Got a Date (Rock It Baby), Could
You Be Loved, I'm Hurting Inside ou Waiting In Vain.
Deuxièmement, à partir de 1974 surtout, des compositions violemment
contestataires où Marley défie l'autorité, un oppresseur qu'il résume sous
le terme utilisé dans la Bible pour les païens : Babylone.
C'est I Shot the Sheriff au thème dérivé du I've Got To Keep On
Moving de Curtis Mayfield, où il est contraint de tuer en légitime défense
un policier qui le pourchasse et veut l'abattre sans raison. Il ajoute qu'il est
faux de dire qu'il a aussi "tué son assistant (deputy)". C'est aussi Concrete
Jungle, le quartier de la "jungle de béton" dans le misérable
ghetts de Trench Town d'où il vient et où "il faut faire de son
mieux" pour tenir. C'est Get Up Stand Up, "lève-toi et défends
tes droits". C'est Small Axe, où "la petite hache va couper le
gros arbre", métaphore pour dénoncer le "big three" des
distributeurs de disques de l'île.
C'est encore un non-violent Burnin'
and Lootin' où il exhorte le monde à "brûler et piller"...
"toutes ses illusions" ou encore Soul Rebel, Rat Race...
Et troisièmement, il fait découvrir au monde les racines africaines
spirituelles et historiques de la civilisation en présentant la culture syncrétique
d'un mouvement marginal jamaïcain qui prône le rapprochement de tous les
hommes, le Rastafari.
Pour les rastas, Haïlé Sélassié Ier (Jah Rastafari), l'empereur d'Ethiopie
descendant direct de la dynastie du roi Salomon (selon la liturgie chrétienne
orthodoxe éthiopienne) est une divinité, l'homme sacré qui incarne les
valeurs chrétiennes originelles et rappelle au passage les origines africaines,
éthiopiennes et égyptiennes en particulier, de la civilisation occidentale (So
Jah Seh).
L'assassinat de Sélassié en 1975 par une junte militaire sanguinaire lui fera
chanter le 45 tours Jah Live où il proclame que Dieu ne peut mourir. Les
rastas, persécutés pour blasphème dans la très chrétienne Jamaïque, se
reconnaissent aux nattes naturelles (Natty Dread) qu'ils portent souvent
(mais pas toujours) selon le vœu du nazir de la Bible.
Ils sont le plus souvent condamnés pour leur consommation de chanvre (Rebel
Music), utilisée comme partout comme un prétexte à la répression et
passible de fortes peines de prison, alors que la consommation de ganja est une
habitude très répandue dans toute l'île.
Le 26 février 1976 naît Kymani, fils de Bob et Anita Belnavis, la
championne du monde de tennis de table des Caraïbes. Kymani deviendra chanteur.
Lucy Pounder met au monde un autre fils, Julian, qui deviendra lui aussi
chanteur........(
War
"Wire" Lindo, trop jeune, doit être remplacé par Tyrone Downie.
Le musicien de studio Earl "Chinna " Smith (guitare) participe
à Rastaman Vibration, qui se vend même aux Etats-Unis (numéro 10) en
1976.
Il contient des morceaux inoubliables comme Positive Vibration, Roots Rock
Reggae où il clame son amour de la musique, une reprise de son Cry to
Me,Who the Cap Fit (alias Man to Man), Rat Race, Crazy Baldhead
(ces "fous chauves", les "baldheads" sans nattes, donc en
principe non-rastas).
On y trouve aussi le sublime War, dont le texte est extrait d'une
vibrante intervention sur le racisme et les droits de l'homme, prononcée par Haïlé
Sélassié Ier aux Nations-Unies, qu'il a participé à fonder.
"Tant
que la philosophie qui considère qu'une race est supérieure et une autre inférieure
ne sera pas finalement et en permanence discréditée et abandonnée; tant qu'il
y aura des citoyens de première et de seconde classe dans une nation; tant que
la couleur de la peau d'un homme aura plus de signification que celle de ses
yeux; tant que les droits de l'homme de base ne seront pas garantis également
pour chacun, sans distinction de race; tant que ce jour ne sera pas arrivé, le
rêve d'une paix durable, d'une citoyenneté mondiale et le règne de la moralité
internationale ne resteront que des illusions fugitives, poursuivies mais jamais
atteintes."
En occident, Sélassié est
de plus en plus calomnié par la presse qui voit en lui un tyran responsable
d'une famine qui décime son peuple.
Considéré jusque-là comme le digne équivalent de Nelson Mandela à son époque,
le défunt devient un bouc émissaire. La réalité historique est toute autre
et Bob Marley chantera bientôt qu'on ne peut pas arrêter le temps, qui dévoilera
la vérité.
Le contenu du message rasta est souvent mal compris dans les pays non
anglophones, mais le mystère et les images qui l'entoure fascinent le public
qui retient surtout des rastas qu'ils fument beaucoup de chanvre, avant tout un
symbole de non-conformisme ("cette pochette de disque est parfaite pour séparer
les graines de l'herbe" -album Rastaman Vibration). Bob Marley est
sera de plus en plus considéré comme la voix des défavorisés, des déracinés
du monde entier. Jusque là, les vedettes auxquelles s'identifiaient les gens
issus d'un milieu modeste étaient monnaie courante.
Mais cette fois, le développement des médias, le marketing d'Island et le
talent de Bob Marley rendent peu à peu le phénomène mondial. La presse rock,
convaincue par son talent, son attitude contestataire et l'essence soul de sa
musique considère Marley comme faisant partie de leur culture pop,
contrairement à d'autres artistes "du tiers monde" pourtant de même
nature. Les médias nationaux s' emparent de plus en plus de la nouvelle idole.
L'identification étant l'essence de la musique populaire, à l'époque du choc
pétrolier de la crise économique naissante, qui met fin aux trente
"glorieuses" de l'économie capitaliste et dévoile les premiers développements
du chômage, Bob Marley commence à conquérir toutes les couches de la société,
et ce sur tous les continents.
Pourtant, malgré un quota de talents locaux et actifs très au-dessus de la
moyenne, aucun autre artiste jamaïcain ne parvient à percer de façon conséquente.
Début décembre 1976, en pleine campagne électorale aux allures de guerre
civile, neuf tueurs entrent chez Bob à Kingston.
Ces hommes de main sont employés par des gangs manipulés par l'opposant au
gouvernement de gauche de Michael Manley.
Soutenu par la CIA, Edward Seaga cherche à prendre le pouvoir, mais la violence
n'empêchera pas Manley d'être réélu. Les meurtriers tentent d'assassiner Bob
Marley, sa femme, et leur nouvel imprésario Don Taylor, atteint de six balles
(il survivra). Rita est blessée, Bob est touché au bras et au torse.
Résolus à ne pas céder à l'intimidation, Marley et les Wailers jouent tout
de même deux jours après comme prévu (avec des bandages, et Cat Coore de
Third World à la basse) au concert géant Smile Jamaica du Heroes National park
devant 80.000 personnes, puis s'exilent à Londres.
Exodus
Bob emménage alors avec la Jamaïcaine blanche Cindy Breakespeare, Miss
Monde 1976, avec qui il aura un fils. Les paparazzi anglais les pourchassent.
En 1977 Julian
"Junior" Marvin, un guitariste anglo-américain d'origine jamaïcaine,
est incorporé au groupe qui passe plus d'un an à Londres, en pleine explosion
punk.
Bob Marley & the Wailers jouent en Europe, et enregistrent beaucoup à
Londres, aux studios de Basing Street. L'album Exodus, sur le thème du
rapatriement des Noirs en Afrique, reçoit la consécration du public. Il
contient d'énormes succès comme Natural Mystic, So Much Things To Say,
Exodus, One Love en medley avec People Get Ready (de Curtis Mayfield) et ses
tubes internationaux Jamming et Waiting In Vain.
On remarque un grand nombre de chansons d'amour à un moment où il est très
amoureux de sa compagne Cindy. Au printemps, c'est sans doute la plus grosse
tournée reggae de l'histoire qui embarque. Bob est un footballeur de niveau
professionnel, et il joue sans arrêt avec son entourage. Un de ses meilleurs
amis, Alan "Skill" Cole, est l'ancien avant-centre de l'équipe de
Jamaïque.
A Paris, en mai, à la suite
d'un accident lors d'un match amical Wailers-monde du spectacle, un docteur
diagnostique une tumeur et recommande l'amputation du gros orteil droit de Bob.
Les six concerts du Rainbow de Londres sont filmés, et Bob Marley ne subit que
très tardivement l'ablation partielle de son orteil.
La fin de la tournée est annulée pour lui permettre de soigner son pied
douloureux. Des millions de Jamaïcains vivent en grande-Bretagne depuis l'indépendance
de leur île en 1962, et les punks anglais ont adopté le reggae. Bob enregistre
ensuite Punky Reggae Party (sur des paroles de Lee "Scratch" Perry,
qui réalise la séance) où il cite les groupes de rock Jam, le Clash, les
Damned et Doctor Feelgood. En 1978 c'est l'excellent album Kaya, souvent mal
accueilli à l'époque par la critique, qui trouve Marley plus commercial et
moins révolutionnaire depuis qu'on lui a tiré dessus.
On y trouve cependant au
moins quatre gros succès : Easy Skanking, Is this love, Satisfy My Soul
(anciennement Don't Rock My Boat) et le spirituel Running Away. Le 22 avril
1978, Bob Marley rentre triomphalement dans son pays pour le One Love Peace
Concert où il parvient à réunir sur scène les opposants politiques Seaga
(dont les hommes de main avaient essayé de le tuer) et Manley, deux ennemis jurés.
C'est le plus beau jour de sa vie.
Il essaie de rapprocher les deux factions armées de l'île en s'entourant
constamment de leurs deux chefs gun men, leur offre des cadeaux et qui, sous son
aura, en viennent à sympathiser.
Le jour, Bob distribue de l'argent à ceux qui en ont besoin. La queue est
souvent longue devant sa maison. Il dépense ainsi des millions de dollars en
liquide. Quand il n'a plus d'argent, il se promène avec ses poches retournées
dépassant de son pantalon.
Bob Marley est décoré de la médaille de la paix des Nations Unies. La vidéo
Live at the Rainbow sort dans le commerce. Ses choristes, le I Three,
enregistrent le disque Aux armes et cætera avec Serge Gainsbourg à Kingston.
Le 26 juin, le double
Babylon by Bus est enregistré en concert au Pavillon de Paris (et pas ailleurs
: les crédits de pochettes sont erronés). A cette occasion Bob encourage
l'exubérant soliste Junior à jouer très en avant alors qu'habituellement, il
doit se retenir, ce qui donne une couleur rock au disque.
A la fin de l'année après plusieurs tentatives d'obtenir un visa, Bob visite
enfin la communauté éthiopienne des rastas "revenus au pays" à
Shashemane sur une terre offerte par feu Sélassié dans une Ethiopie dévastée
par la révolution.
Mais les rastas sont trop peu pour qu'il y construise le studio prévu.
Le 21 juillet 1979, Cindy Breakspeare, que Bob aime tendrement, met au monde
Damian Marley, qui deviendra, lui encore, chanteur.
Al Anderson et "Wire" Lindo s'ajoutent au groupe. Après un dernier
chef d'œuvre, Survival en 1979, le déclin physique (mais pas musical) commence
en pleine tournée mondiale, qui passe par la Nouvelle Zélande, l'Australie, le
Japon.
Survival est un disque sophistiqué où différentes influences se font sentir.
Il contient des classiques comme So Much Trouble In the World, Africa Unite,
Ambush In the Night, qui fait allusion à la tentative de meurtre dont il a fait
l'objet, et Zimbabwe (écrit en Ethiopie) en référence au pays dont
s'annoncera bientôt l'indépendance.
Aux Etats-Unis à Boston il chante au stade de Harvard afin de réunir des fonds
pour les combattants de la liberté africains, et prononce un discours pour la légalisation
du chanvre, l'unification de l'humanité et la reconnaissance de l'identité
divine de Haïlé Sélassié, le Ras Tafari descendant du roi Salomon.
Zimbabwe
En 1980 Bob Marley accomplit son rêve de jouer en Afrique, invité officiel au
Gabon en janvier (où il découvre que son manager Don Taylor l'escroque) et le
17 avril à la cérémonie d'indépendance du Zimbabwe, dernier pays africain à
obtenir l'indépendance.
Il dépense personnellement deux cent cinquante mille dollars pour déplacer son
groupe sur place.
En plein concert, sous la pression de milliers de spectateurs restés dehors, la
barrière cède.
Les invités officiels s'éparpillent. Les gaz lacrymogènes dispersent la
foule, et le groupe, qui rejoue le lendemain. En été, une tournée européenne
lance l'album Uprising, encensé par la presse. Le disque contient encore de
nombreux titres très forts, comme Zion Train, sur le paradis terrestre de Sion,
Pimper's Paradise, sur les jolies écervelées qui risquent de devenir des
victimes, Forever Loving Jah, Coming In From the Cold, et surtout Could You Be
Loved au tempo rapide et au rythme plus américain, qui s'annonce enfin comme le
morceau capable d'ouvrir définitivement le marché des Etats-Unis.
Mais s'il est vrai que titre restera son plus gros succès américain, Bob
n'aura pas le temps d'en effectuer la promotion.
En septembre il joue au
Madison Square Garden de New-York en premier partie des Commodores, bien décidé
à s'imposer en Amérique, un succès crucial pour lui, mais qui lui a toujours
échappé.
Le lendemain il s'effondre pendant son exercice de course à pied quotidien à
Central park. On lui annonce que son mélanome s'est étendu aux poumons et au
cerveau, et qu'il n'a plus que quelques semaines à vivre. Il garde le secret
pour que sa famille le laisse jouer un dernier concert le 23 septembre à
Pittsburgh, où il termine avec une émouvante version de Redemption Song, une
chanson lourde de sens aux allures de testament musical, qui clôt à la guitare
sèche son ultime album : "Pendant combien de temps vont-ils tuer nos prophètes,
tandis que nous restons là à regarder ?".
Débordé, sous la pression du succès -sans doute mal conseillé- il ne s'était
pas soigné correctement à temps, d'où le développement de son mélanome. Il
part alors pour l'Allemagne où un ancien docteur nazi, le docteur Issels, le
maintient en vie au prix de grandes souffrances. Début mai, tout espoir est
abandonné et décharné, rasé, il retrouve sa mère à Miami.
Il meurt entouré de ses enfants. Son dernier mot est pour son fils Ziggy :
"l'argent ne fait pas la vie."
Time Will Tell
Le monde est sous le choc.
Partout, sa musique retentit.
En Angleterre, le lugubre Redemption Song hante déjà les juke-boxes de tous
les pubs, et toutes les radios diffusent sa musique alors que la France acclame
François Mitterrand, élu la veille au soir.
En Jamaïque, le parlement suspend ses séances pendant dix jours. L'éloge funèbre
des funérailles nationales est prononcé par le premier ministre de droite,
Edward Seaga, récemment élu, qu'il détestait. La cérémonie est organisée
par des prêtres orthodoxes éthiopiens, l'antique religion chrétienne de la
dynastie salomonique de Haïlé Sélassié.
Alan Cole, l'ami de Bob, rappelle au public les convictions rastafariennes de
Marley et rejette politiciens et cérémonie chrétienne dans un discours de défiance.
Sur des dizaines de kilomètres, le convoi qui traverse l'île jusqu'à son
village natal est entouré par une foule immense.
Robert Nesta Marley repose dans un mausolée au sommet de la colline de Nine
Mile qui l'a vu naître, avec au doigt l'antique bague de famille que lui offrit
le premier fils et héritier de Sélassié, Asfa Wassen, à Londres en 1977. Il
ne l'avait jamais quittée depuis (voir la pochette de la compilation Legend).
Quelques semaines plus tard Yvette Crichton met au monde Makeda Jahnesta Marley,
sa dernière fille.
L'anniversaire de son décès devient un jour férié en Jamaïque, où
plusieurs timbres seront créés à son effigie. Il laisse douze ou treize
enfants d'une dizaine de femmes différentes, des dizaines de millions de
dollars, mais pas de testament. La maison des quartiers chics qu'il avait racheté
à Chris Blackwell au 56 Hope road devient le musée Bob Marley.
En 1981 la compilation
Chances Are (WEA) présente des enregistrements de 1968 et 1971 retravaillés
et remixés sans le concours de Marley, avec un résultat très critiqué. En
1983 sort la compilation d'inédits Confrontation (Island) contenant un nouveau
succès mondial, Buffalo Soldier. Ce morceau rappelle que les premiers
bataillons noirs de la cavalerie américaine étaient des guerriers entraînés
à tuer les redoutables Indiens, qui prenaient ces "dreadlock rastas"
à la peau noire pour des bisons, des "buffalos" réincarnés réputés
invincibles.
En 1983 une partie des excellentes bandes originales de Danny Sims de 1968
sortent sous des titres différents dans chaque pays. En Angleterre l'album
s'appelle Jamaican Storm (Bellaphon) mais passe inaperçu. La compilation Legend
(Island) sortie en 1984 deviendra une des plus grosses ventes de tous les temps.
Une vidéo du même nom contenant tous les clips vidéo du disque sort aussi.
Petit à petit, les masses africaines adoptent Marley, qu'elles découvrent
souvent seulement après sa mort.
En 1985, l'album Bob, Peter, Bunny & Rita (Jamaica) est lancé par Danny
Sims. Il contient des titres de 1967-1971 retravaillés après sa mort mais la
piètre qualité de la musique ajoutée par Joe Venneri aux enregistrements de
voix n'a aucun succès, et le disque disparaît. En 1986, la vidéo documentaire
Carribean Nights contenant beaucoup d'extraits de concerts est mise en vente. En
1988, Danny Sims essaye à nouveau d'enrober les voix des Wailers (Bob Marley,
Urban-Tek) avec des arrangements plus électroniques cette fois mais n'a pas
plus de succès que la tentative précédente.
Les disques sortis chez Island se vendent en revanche de plus en plus chaque année,
comme le splendide coffret 4 CD regorgeant d'inédits, en édition limitée à
un million, Songs Of Freedom (1992), vite épuisé.
En 1991, d'introuvables et somptueux enregistrements soul et ska des débuts
chez Studio One sortent sur le CD One Love (Heartbeat/Média 7) et le film
documentaire Time Will Tell sort au cinéma et en vidéo.
En 1996, le CD Soul Almighty-The Formative Years Vol. I
(JAD/Pense à Moi/EMI) propose des enregistrements entièrement retravaillés,
toujours par Joe Venneri et Arthur Jenkins, autour de voix datant de 1967-1971.
Cette fois le résultat est un peu plus convaincant, et le disque a un certain
succès malgré un tollé de la presse. Plusieurs enfants de Bob y participent.
Un intéressant CD ROM signé Roger Steffens est inclus sur l'album audio.
En 1997 et 1998, les enregistrements originaux de l'essentielle période d'avant
Island sortent enfin entièrement restaurés sur la série des Complete Bob
Marley & the Wailers 1967 to 1972.
Mais l'empoignade juridique
pour l'héritage n'en finit pas.
Bunny Wailer et Rita Marley (qui a hérité de tout) se disputent les disques
Tuff Gong.
Les premiers enfants de Bob, Ziggy Marley & the Melody Makers, perpétuent
sa mémoire avec dignité et succès : en 1986, leur Tumblin' Down est une
grosse vente aux Etats-Unis.
En 1997, Stephen Marley chante No Woman No Cry avec le groupe de rap les Fugees,
une énorme vente mondiale alors que ses demi-frères Julian et Damian (sous le
nom de Junior Gong) lancent chacun leur premier disque et partent en tournée.
En 1999, un album de hip hop avec les plus grandes vedettes du moment, dont
Lauryn Hill, présente des duos basés sur des prises inédites des morceaux de
Bob Marley. Le projet est organisé par Stephen Marley, qui interprète un duo
avec son père.
Bob Marley a fait découvrir au monde le reggae, une riche, créative et
originale forme de rhythm and blues qui a considérablement influencé la
musique populaire occidentale, et ce bien plus qu'il est généralement admis
(remix, rap et basses proéminentes notamment viennent directement du reggae).
Mais au delà du reggae, sa musique a touché tous les publics, transcendant les
genres, comme en témoigne un large culte, encore en pleine expansion dans le
monde entier à la fin du vingtième siècle.
Pourtant la dimension de Marley est infiniment plus importante que celle d'un
simple chanteur populaire. Cherchant à l'origine la dignité pour son peuple
bafoué par des siècles d'esclavage (Redemption Song, Slave Driver) et
d'oppression économique, il incarne bientôt l'éveil de l'humanité entière
à une révolution pacifique contre un oppresseur qu'il décrit païen,
capitaliste, corrompu, raciste et hypocrite à la fois. Avec une authenticité
et une force inégalée depuis, il a su envers et contre tout conquérir le
monde en un temps record avec cette identité.
Il est devenu un des grands symboles universels de la contestation, supplantant
bien souvent dans l'inconscient collectif des masses des combattants politisés
du type de Che Guevara (la proche révolution cubaine l'a d'ailleurs beaucoup
marqué), Malcolm X, Marcus Garvey, Léon Trotsky, Nelson Mandela ou Thomas
Sankara.
Pour certains, son message d'abord spirituel, culturel, et enrobé d'un prosélytisme
à consommer du chanvre indien détourne les masses qui lui sont acquises d'une
action plus pragmatique, et ne les incite pas toujours suffisamment à
s'organiser comme ils pourraient le faire pour mieux défendre leurs droits.
Quoi qu'il en soit, miroir de l'esprit rebelle des peuples opprimés, héros,
exemple et modèle à la fois, Marley est considéré par plusieurs générations
déjà comme le porte-parole défunt mais privilégié des défavorisés.
Il est avant tout le premier
musicien auteur compositeur interprète à incarner et assumer pleinement cette
identité de porte-parole contestataire et symbolique à une échelle mondiale,
un statut que d'autres comme James Brown, Bob Dylan ou John Lennon ont approché
mais n'ont jamais totalement obtenu ou accepté pour diverses raisons.
Avec dans son message l'essentiel ingrédient spirituel et culturel rasta, Bob
Marley a été plus loin encore que la protestation d'ordre social en dénonçant
avec raison et insistance la falsification et l'omission de toute 'histoire
africaine par les religions occidentales et les historiens colonialistes (Zion
Train).
Marley confronte l'humanité à une approche de l'histoire jusque là
essentiellement ignorée, puis de plus en plus largement admise, étudiée, et
reprise.
Son approche théologique rastafarienne, relayée par sa célébrité, fait de
Marley l'objet d'un grand nombre de réflexions de nature hagiographique.
Beaucoup voient dorénavant en lui une sorte de premier prophète multimédia,
le fils d'un Blanc et d'une Noire, signe d'un métissage planétaire unificateur
dont l'avenir dépend en bonne partie d'une meilleure connaissance du passé.
Comme l'écrivait le New-York Times de façon peut-être aussi ironique que
prophétique quinze ans après sa disparition, "en 2096, quand l'ancien
tiers-monde occupera et colonisera les anciennes super-puissances, Bob Marley
sera commémoré comme un saint."
par Bruno Blum